L’épouse du directeur du bureau de l’ORTF en poste à Beyrouth raconte le parcours de sa famille de 1966 à 1975 et aborde les conflits socio-politiques libanais et le racisme de la société française

Auteur(s) :
enquêteur : Métral, Jean
informateur : Lanot, Suzanne

Editeur :
Phonothèque de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme

Contributeur :
Maison méditerranéenne des sciences de l'homme

Notice originale :
http://phonotheque.mmsh.huma-num.fr/dyn/portal/index.seam?page=alo&aloId=12156
mmsh12156

Type :
archives sonores
Sound

Description :
L'entretien est particulièrement long et fluide : Jean Métral se laisse guider par son interlocutrice. L’informatrice est née le 19 septembre 1929 à Aix-en-Provence, d'un père ingénieur né et mort en Algérie et d'une mère chef de service à la société Shell à Alger. L’informatrice est mère de famille et sans profession. Elle obtient le baccalauréat de philosophie puis se marie en 1947 à Alger avec un militaire arabisant de mère syrienne, élevé jusqu’à ses 18 ans au Liban. Officier aux affaires indigènes, son mari est détaché en Tunisie puis prépare l'agrégation d'arabe à Paris. Il est recruté à l'ORTF en 1952. Le couple a 3 enfants dont le cadet est décédé en 1972. L'aîné prépare l'ENA, l'ESSAC et l'institut de journalisme à Paris. Le benjamin étudie les mathématiques à l'école d'ingénieur de Beyrouth. Les époux partent pour Beyrouth en 1966 lorsque le mari y est nommé directeur du bureau de l'ORTF pour le Moyen­-Orient. L’informatrice est passionnée par le travail de son mari, même si elle se consacre à l’éducation de ses enfants. A l'origine, le couple ne voulait pas venir à Beyrouth, qu’ils connaissaient bien (depuis 1947 pour elle). Mais, le monde arabe les a rattrapés. L'arrivée est un choc, le Beyrouth des années 1960 étant devenu « une énorme ville insupportable qui ne sentait plus l'oranger ». Beyrouth reste néanmoins accueillante. Le couple habite depuis 1966 dans le même appartement, dans le quartier de Ramlet El Bayda. La profession de l’époux influence la vie de la famille, marquée par un rythme soutenu de rencontres et sorties. Mais la mondanité beyrouthine « très élitiste » pèse à l’informatrice qui lui préfère les dîners intimistes pour échapper à la « stagnation intellectuelle » et fuir « le jeu social » des amitiés intéressées. C'est surtout le manque de stimulation et de curiosité intellectuelle des femmes inactives (françaises comme libanaises) qui la désole. Elle fréquente davantage des journalistes, peintres, littérateurs que des femmes au foyer. C’est en effet une femme dynamique et cultivée : elle apprécie la musique,fréquente les concerts et les cinémas, va au théâtre. Elle fait également de la gymnastique, des randonnées, va à la plage et voyage, notamment dans la montagne libanaise et dans « tous les pays arabes », à l'exception de l'Arabie saoudite. Son lien à la France est lâche : elle n'y est rentrée qu'à l'occasion du décès de son fils cadet en 1972, puis durant l'été 1974. Bien qu'elle critique le caractère superficiel des relations amicales, la mondanité, elle dit se sentir « un peu Libanaise » en fait d'habitudes, de façons de penser, et ce d'autant qu'elle n'a vécu que 14 ans en France en 46 ans de vie. Son refus de l'oisiveté la repousse loin des cercles de Français expatriés , dont elle vilipende la fatuité, la morgue héritée de la colonisation, le racisme « viscéral ». De plus, elle critique la politique de coopération « à sens unique » mise en œuvre par les autorités françaises, attachée à un monopole français sur les institutions francophones. L’informatrice discute volontiers politique. Elle analyse les séquelles du mandat sur la société libanaise. Elle part du « drame linguistique libanais », celui d'une bourgeoisie qui ne parle ni arabe ni français correctement et en éprouve de la rancoeur vis­ à­ vis des anciens colons. Elle y voit l'un des éléments favorisant un sentiment arabiste au Liban, au détriment du français et des Français. Elle note aussi une différence de génération : les jeunes Libanais des années 1970 sont plus arabophones que leurs aînés. L’élément linguistique n'est pas le seul en jeu : l’informatrice la date l'émergence significative du sentiment arabiste à Noël 1968, suite au bombardement de l'aéroport Beyrouth par l'armée israélienne. L'attaque aurait humilié les Libanais, ayant découvert par là même l’importance de leur identité comme nation. Ce sentiment d'humiliation aurait donné lieu à une « petite xénophobie » contre l'arrogance des Français donnant des leçons aux Libanais sur la médiocrité d'un Etat que la France coloniale avait souhaité comme tel. L’informatrice et l’enquêteur prennent plaisir à parler politique, notamment prospective : elle veut croire, avec optimisme, que la révolution palestinienne a contribué à remplacer les conflits confessionnels par des conflits politiques. Elle espère que la classe dominante libanaise chrétienne finira par comprendre que sa domination politique a vécu et refuse d'envisager une tuerie inter­communautaire, malgré les tensions survenues à Saïda peu avant l'entretien. Acquise à la cause arabe, elle salue les tentatives d'arabisation des cursus éducatifs et la montée en force de la langue arabe dans les productions culturelles libanaises. N'ayant pas eu le loisir d'apprendre l'arabe, l’informatrice n'est pas suffisamment arabophone pour rencontrer d'autres milieux sociaux que la bourgeoisie intellectuelle. Elle dissèque ainsi de l'intérieur les rapports de classe libanais, ce qu'elle nomme « le résidu du mandat » notamment l'éducation française de « la société nantie » . Cette société est composée ces « vieilles familles » maronites surtout, l'élite des hauts fonctionnaires en poste depuis l'indépendance du pays. Son analyse ne porte pourtant jamais en termes purement confessionnels les rapports sociaux libanais : elle mêle rapports de classe, confession et héritage colonial. Elle relève aussi l'importance du contexte historique et de ses évolutions, notamment celle du boom pétrolier, qui entraîne l'ascension de nouvelles couches sociales plus arabophones et anglophones. Critique des Français du Liban et de la bourgeoisie libanaise, elle déplore aussi avec éloquence l'ignorance de la société française concernant la cause palestinienne. Surtout, c'est le racisme des Français, tous milieux confondus, toujours plus aigu selon elle, qui la choque.

Sujet(s) :
enquête
témoignage thématique
mariage mixte
relation vie privée-vie professionnelle
communauté française
conflit social
arabisation
communauté libanaise
loisirs
élite
racisme
ORTF
Mandat français sur la Syrie et le Liban

Date :
1975

Format :
1 bde

Langue :
français
fre

Couverture :
Beyrouth
N33°53'20''
E35°29'39''

Droits :
Contrat signé avec la dépositaire. Recherche des ayants droit en cours.
Consultable sur autorisation

Relation(s) :
Les français au Liban depuis 1945, une minorité allogène

Type :
archives sonores
Sound

Source :
4389

Citation

enquêteur : Métral, Jean et informateur : Lanot, Suzanne, “L’épouse du directeur du bureau de l’ORTF en poste à Beyrouth raconte le parcours de sa famille de 1966 à 1975 et aborde les conflits socio-politiques libanais et le racisme de la société française,” Portail du patrimoine oral, consulté le 23 novembre 2024, http://stq4s52k.es-02.live-paas.net/items/show/120297.